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Photo du rédacteurHanna Zilbershlag

Zion Asoulin :« Et ils Me construiront un sanctuaire,pour que Je réside au milieu d’eux. »

Zion Asoulin :

« Et ils Me construiront un sanctuaire,

pour que Je réside au milieu d’eux. »

Chemot(Exode), 25:8, parasha Terouma

Partie 1




Portrait de Zion Azulin au travail par son fils Ori
Portrait de Zion Azulin au travail par son fils Ori


Que se passe-t-il dans l’esprit d’un Juif israélien constructeur de synagogues ? Zion Asoulin, un architecte né à Réhovot dans les années 1960 au sein d’une famille venue du Maroc, nous ouvre les portes de son atelier hétéroclite à Jérusalem et nous raconte son cheminement aux multiples ramifications.







Vous êtes diplômé de l’Académie d’Art et de Design Bezalel, située à Jérusalem, et des Beaux-Arts de la ville de Paris. Quelle raison vous a poussé à venir étudier en France ?


J’ai bénéficié de l’avis de trois professeurs de Bezalel qui se sont formés aux Beaux-Arts à, Paris. Ils m’ont recommandé de venir en France pour compléter l’enseignement que j’avais reçu. De plus, à l’époque, j’étais amoureux d’une Française, Mano Siri, qui est devenue célèbre dans le monde de la musique yiddish. Quand je l’ai connue à Jérusalem, elle était étudiante en philosophie, en voie de conversion au Judaïsme, militante contre la guerre au moment du conflit avec le Liban, et moi, j’avais servi dans l’armée : nous avions beaucoup de désaccord ! Nous avions décidé de partir vivre ensemble à Paris pour obtenir chacun notre diplôme. Mais lorsque je suis arrivé à Paris, le premier jour, nous nous sommes disputé. Heureusement, nous avons eu le temps de faire la paix des années plus tard, avant qu’elle ne

décède du Covid.


J’ai quitté l’appartement le soir-même. Je me suis retrouvé sans domicile fixe. Les Beaux-Arts étaient ouverts jusqu’à vingt-deux heures, je me cachais et je dormais sur le matelas réservé aux modèles qui venaient poser. Je suis resté dans cette situation plusieurs mois, jusqu’au moment où j’ai trouvé un travail d’agent de sécurité pour l’ambassade israélienne.

Là-bas, une femme me donnait à manger.

Au tout début, à mon arrivée, je ne parlais pas un mot de Français. Pour l’apprendre, je suis allé chez Gibert Jeune et j’ai acheté une cassette audio du Petit Prince. Pendant un mois, je l’ai écoutée tous les jours pour me préparer à l’oral des Beaux-Arts. À l’entretien, j’ai répondu aux questions en citant des passages du livre. On m’a dit : « c’est très profond ce que vous racontez ! »


Pourquoi avoir choisi Le Petit Prince plutôt qu’un autre livre ?


Le vendeur m’a conseillé d’aller dans le rayon des livres pour enfant. Mais j’ai trouvé que les dessins étaient bêtes. J’ai choisi le Petit Prince parce que c’était naïf. Mais ce n’est pas du tout pour les enfants ! Aujourd’hui, j’écoute toujours le Petit Prince dans ma voiture pour en pas oublier le Français. Je n’ai personne avec qui le parler.


Pourquoi Le Petit Prince vous tient tellement à coeur ?


Ça me parle car les premières histoires que j’ai lues, c’étaient celle de la Bible. Il y a un ordre et il y a une histoire. Ça dit ce qu’il faut faire et ne pas faire, une énonciation des règles, « les enfants, il faut faire attention aux baobabs ! Il ne faut pas faire ceci et cela ! »

Et quand j’étais petit, je pensais que les mots étaient des mensonges. Alors j’ai bouché mes oreilles et j’ai commencé à regarder.

J’ai donné à l’université un cours de développement personnel. Un cours de « massa. » Massa1 , c’est quand tu sors te promener mais tu ne sais pas où tu vas arriver ! Le Petit Prince, ça me fait penser aux histoires de Rabi Nahman.


À laquelle en particulier ?


Celle de La fille du roi, appelée aussi La princesse perdue2 Ce sont des histoires similaires : le petit prince se dispute avec la rose et s’en va. Le roi se dispute avec sa fille, et elle part. Le roi envoie son vizir la chercher, à chaque étape il est sur le point de la trouver, mais elle finit toujours par s’enfuir.

Chaque fois que le petit prince s’arrête dans un endroit différent, il découvre un style de vie.

Nous avons le motif de la fuite car le petit prince aime la fleur, et le roi aime sa fille, mais quelque chose s’est cassé dans la relation. Le vizir traverse différentes étapes et le petit prince trouve des personnages archétypaux. Il pose des questions très réfléchies et ça lui permet de se rapprocher de sa fleur. Là où il s’en rapproche le plus, c’est auprès du renard qui lui dit que « l’essentiel est invisible pour les yeux. »

Le corps du petit prince disparaît mais on ne sait pas où il est allé. St-Exupéry dit « je suppose qu’il est rentré chez lui. »

Rabbi Nathan, un élève de Rabbi Nahman, rajoute une phrase à La fille du roi qui dit que finalement, elle a été retrouvée, mais il ne dit pas comment, il raconte uniquement la quête, c’est seulement le voyage qui compte.

Chez Saint-Ex’ c’est la même chose, l’histoire reste ouverte.


Selon vous, quel est le rôle du serpent dans cette histoire ?


C’est la métamorphose de la situation. L’histoire commence avec le serpent et finit avec le serpent. Pourquoi est-ce un serpent qui permet le voyage ?

Au début de l’histoire, l’aviateur pose une question aux adultes pour déterminer s’ils sont sages ou idiots : ils leur demandent ce qu’il voit dans son dessin. S’ils répondent, « c’est un serpent qui a avalé un éléphant » ; ils sont sages, s’ils répondent « un chapeau »  ils sont idiots. Le serpent a ce rôle de révélateur, aussi.


Parlons à présent de votre métier. Pourquoi construisez-vous des synagogues ?




Synagogue Mishkan Aharon, Jérusalem, vue d’ensemble.
Synagogue Mishkan Aharon, Jérusalem, vue d’ensemble.

Mon grand-père a fait l’alyah avec sa famille du Maroc. Il avait beaucoup étudié la Kabbale 3

et la Halakha 4 . Moi, ma préférence va au Talmud 5 , pour jouer avec l’intellect.

Ma mère était analphabète et mon père était toujours sur les chantiers. Mon grand-père a

eu peur que je ne sois pas instruit, il a donc entrepris mon éducation chez lui. À six ans, au

lieu de jouer, il fallait que j’aille chez mon grand-père. Il voulait m’enseigner comment être

sofer stam 6 , c’était son métier. Au lieu de jouer au foot, je devais pratiquer la calligraphie et

la halakha. Je n’ai pas eu de jouets et me suis senti puni. De seize à dix-huit heures, mon

grand-père ouvrait son cabinet et il tentait de guérir les problèmes des gens avec une méthode

cabalistique qui lui était propre. Il leur servait de psychologue. J’étais là pour leur ouvrir la

porte et j’entendais ce qu’ils disaient : des gens malheureux avec des histoires terribles.

Alors pour moi, enfant, la synagogue c’était moche, et la religion, pour les fous !


Pourquoi trouviez-vous laides les synagogues de votre enfance ?


A l’époque, on ne savait pas travailler le bois et on construisait les synagogues en amiante, c'était inesthétique et très dangereux ! On mettait un nouveau néon pour chaque mort, encombrant et extrêmement cher. Pour l'enfant que j'étais, c'était laid et anxiogène ! Aujourd'hui, on a changé de système, avec des lampes plus petites en forme de bougies, qu coûtent seulement vingt shekels.

La question que je me pose, toujours est la suivante : comment faire le lien entre les mondes sensibles et métaphysiques ? Je dois aller trouver cette liaison. Aller au-delà du physique mais aussi penser à l'esthétique. Je ne veux pas refaire la synagogue des années 1960-1970 de mes jeunes années qui ressemble à un grand cimetière.

La première fois qu’une synagogue a été conçue par un designer, Avner Ben Khama, j'ai dit à mon père que désormais je ne voulais plus aller dans celle où nous avions l'habitude d'assister aux offices. Je lui ai expliqué qu'elle me blessait et qu'elle me faisait peur. La synagogue de Ben Khama a été détruite au bout de dix ans car elle contenait aussi de l'amiante.

J'ai donné trois conférences sur l'art et les Juifs à Saint-Pétersbourg. Seuls des professeurs étaient présents, peut-être cent personnes. A mes yeux, chaque Russe pouvait être un Juif si j’en jugeais par les traits de son visage. Mais j'ai aussi eu dans l’assistance un enseignant japonais, très patient. Il n'était pas juif mais il était curieux de savoir ce qu'était l'art juif. Le problème est que, si je donne ce type de conférence à Jérusalem, chacun pensera que l'art juif, c'est juste du folklore judaïca.

Gottlieb, par exemple, c'est de la peinture photographique, de mémoire. Et Isaac Bashevis Singer a peint un monde disparu. Un document-témoignage de la vie de l'époque, un souvenir de la communauté, car après la Shoah on craignait qu'il n'en reste plus rien. C'est un écrivain qui a quitté le monde religieux mais ne voulait pas oublier ce monde disparu : c'est une responsabilité qu'il s'est donné. Il a arrêté d’être juif orthodoxe à Dublin et a écrit ses souvenirs de la vieille Europe juive. J’essaie d’avoir un message universel.

Pour ma part, je pense comme un artiste : comment un être humain juif donne l'expression de cette pensée ? Je ne représente pas, je présente. L'art de Gottlieb est une représentation à mes yeux. Je veux être présent comme un Juif mais pas dans une dimension mémorielle. Je

cherche l'expression d'ici et maintenant, c'est moi qui suis un être humain qui vit dans la

pensée juive et qui donne à voir un monde qui lui est propre. Ce n'est pas du folklore, c'est ma façon de m'exprimer en tant que Juif. Je ne veux pas le passé, ni le futur, mais le présent.


Hanna Zilbershlag


1Massa מסע : en Hébreu, voyage, ici employé au sens figuré.

2Nous recommandons la lecture de ce conte dans le recueil suivant : Contes de sagesse de Rabbi Nahman de B Braslav, commentés par Adin Steinsaltz, traduction de Cyril Aslanoff, Albin Michel, collection Spiritualités vivantes.

3Kabbale : commentaires mystiques des textes bibliques.

4Halakha : corpus regroupant l’interprétation juridique des lois juives et leurs commentaires.

5Talmud : Corpus regroupant la mishna(loi orale) et la guémara qui est le commentaire de la mishna.

6Sofer stam סופר סתם : scribe spécialisé en calligraphie hébraïque chargé d’écrire notamment les rouleaux de la

Torah à l’aide d’un calame sur du parchemin. Les lois d’écriture sont très précises et la réalisation des rouleaux

fastidieuse : elle dure un an, la Torah contenant plus de trois cent mille caractères.


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